Revue & Corrigée
Interviewed by Rui Eduardo Paes
November 2003
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Percussionniste, improvisateur et compositeur américain, il utilise
linformatique pour "disséquer" et "magnifier"
le son de sa batterie préparée (batterie et pièces
de métal), et affirme que lélaboration de drones reste
une production rythmique, à un micro-niveau.
Interview par Rui Eduardo Paes
Revue & Corigée:
Tu utilises plus
ton portable que ta batterie à présent. Es-tu en train de
suivre le même chemin que Kaffe Matthews, par exemple, qui a abandonné
son violon pour se consacrer exclusivement à lélectronique
? On peut encore entendre tes percussions sur tes derniers CD, avec Toshimaru
Nakamura, et tu continues à jouer en solo sur des pièces
métalliques, mais en te concentrant sur le sampling. Pourquoi?
Jason Kahn:
Je nai pas le sentiment davoir abandonné
la batterie au profit de lordinateur de me concentrer sur
le sampling, comme tu dis. Pour moi linformatique est un moyen de
fouiller plus profondément dans lessence des percussions
: leur son. Je nai pas limpression de me servir plus de lordinateur
que des percussions ; je le conçois davantage comme un auxiliaire
quun produit de substitution il enrichit le son de la batterie,
le met en valeur et développe les résonances de linstrument.
Qui sont justement les qualités pour lesquelles jai toujours
eu le plus dintérêt. Jappellerais plutôt
mon travail, qui se concentre sur le son de linstrument et le développe
avec lordinateur, "percussion enrichie". Par ailleurs
le rythme reste également un facteur important, même sil
me semble que depuis quelque temps mon travail rythmique se situe davantage
à un micro-niveau : les variations sonores des fûts en résonance.
Cette approche du rythme est également accessible sur un de mes
CD solo intitulé Drums and Metals, qui ne contient aucun traitement
électronique.
Ces dernières années jai adopté une approche
plus simple des percussions, me concentrant davantage sur leur son. Lordinateur
est un outil pratique pour faire évoluer cette forme de jeu, disséquer
et magnifier le son de linstrument.
Revue & Corigée:
Tu as débuté
dans des groupes punks, et je sais que tu aimes le jazz depuis ladolescence.
Le punk et le jazz, chacun à sa manière bien sûr,
ont-ils une quelconque influence sur la musique que tu joues ?
Jason Kahn:
Très tôt jai réalisé
que lesprit du punk (cest-à-dire la musique que jécoutais
dans la seconde moitié des années 70, époque à
laquelle je commençais à aller dans des clubs et des concerts)
et celui du jazz (les toutes premières années du be-bop,
la transition du be-bop au free jazz des groupes dOrnette Coleman
et Eric Dolphy, jusquaux approches déstructurées plus
tardives de John Coltrane, Cecil Taylor, etc.) nétaient pas
si éloignés. A mon avis, le meilleur jazz prenait naissance
aux limites du chaos, quand les musiciens poussaient la musique assez
loin pour ne pas savoir eux-mêmes où ils allaient. Ils prenaient
des risques. De la même manière, le punk impliquait pour
moi de prendre des risques et de repousser les limites dexécution
et de musicalité dun concert. Bien sûr, souvent au
sein des groupes punks les musiciens étaient moins techniques que
les jazzmen (ce qui nest en fait pas très important pour
moi) mais leur esprit, lexpression de leur musique, évoluaient
dans les mêmes sphères que nombre de créateurs de
jazz.
Donc pour répondre à ta question, oui, dans un sens le punk
et le jazz continuent aujourdhui dinfluencer, bien quindirectement,
ma musique la prise de risque restant très importante pour
moi. Je mefforce daller au-delà de ce que je peux jouer,
au-delà de ce que je peux imaginer jouer. Il ny a que dans
cette espace vierge, où on est confronté à léchec,
que de nouveaux horizons peuvent être découverts. Et cela
est vrai non seulement pour moi en tant quexécutant, mais
également pour le public, qui fait partie de ce processus ; les
spectateurs se mettent en danger et défrichent en même temps
que le musicien. Cest cet échange entre le public et linterprète
qui rend la musique live si dynamique et qui était, évidemment,
si important aux premiers stades de la musique punk : revitaliser le rock
; lextirper des stades où lavaient mis les dinosaures,
et le ramener à portée de linfluence du public sur
la musique, un niveau auquel les spectateurs pourraient accompagner le
processus créatif des musiciens sur scène.
Revue & Corigée:
Dis moi, avec de
tels antécédents, quel a été le déclic
qui ta fait jouer de la musique expérimentale ?
Jason Kahn:
Sans entrer dans un vaste débat sémantique
sur la signification des termes "musique expérimentale",
je dirais quen général ceux qui sont à la recherche
de quelque chose qui reste hors datteinte, ou qui nexiste
que dans leurs rêves, doivent passer par un processus dexpérimentation
pour atteindre leur but. On ne peut entamer cette recherche pour découvrir
de nouvelles idées, que par la prise de risque, en étant
prêt à échouer et à accepter léchec
comme point de départ vers quelque chose de nouveau. Mes propos
précédents sur la musique punk et le risque, devraient rendre
évidentes les raisons de mon intérêt pour une approche
de la musique qui nait pas de notions préconçues de
bon et de mauvais, de succès ou déchec, comme la musique
expérimentale.
Revue & Corigée:
Dans ta musique électronique, ou celle
que tu joues avec dautres, il semble quil y ait une grande
influence du minimalisme et des drones des années 60, en particulier
les compositions de LaMonte Young et Tony Conrad. Je sais que cest
une des constantes de lelectronica actuelle, mais cest inattendu
de la part dun percussionniste du fait même de la nature de
son instrument. As-tu choisi cette pratique pour échapper aux paramètres
de percussions et de rythmes (même asymétriques), pour trouver
dautres univers sonores ?
Jason Kahn:
Comme je lai déjà dit, je ne trouve pas
que ma musique soit non-rythmique, ou en fait moins rythmique que ce que
jai pu jouer auparavant elle est rythmique de façon
différente. La réverbération des ondes sonores se
propageant à la surface dun bassin serait la meilleure analogie
à mon actuelle approche du rythme : on lance une pierre dans leau
et lentement des ondes de son sétendent à partir du
point dimpact ; lancez une autre pierre à proximité
et les ondes sonores de celle-ci sentrecroisent avec celles de la
première, et ainsi de suite.
Je mintéresse à la juxtaposition des événements
rythmiques qui se développent graduellement et créent de
nouveaux rythmes, à lautonomie du son qui se dilate et se
contracte, qui se distord et se met à lunisson. Cest
une approche polyrythmique, qui ne repose pas sur une opposition de mesures
(ternaire contre binaire, sept temps contre cinq), mais sur des événements
rythmiques autonomes qui se combinent et se séparent ; et ce processus
crée différentes combinaisons rythmiques symétriques
ou asymétriques.
Je mefforce de laisser la musique se construire elle-même,
de permettre aux rythmes de permuter, de se croiser, de disparaître.
Jessaie dapprocher au plus près une conception générative
de la musique, tout en restant un intervenant actif lorsque le son se
développe.
Tu as évoqué la musique de Tony Conrad, LaMonte Young, etc.,
et leur utilisation de drones comme expression musicale non-rythmique
Revue & Corigée:
Pas forcément
non-rythmique, mais basée sur les percussions.
Jason Kahn:
Eh bien
En fait les drones sont rythmiques, parce
quun drone est constitué dondes sonores vibrant à
certaines fréquences. Ces pulsations sonores sont rythmiques par
définition, puisquelles se produisent à intervalles
réguliers.
Quand je jouais au sein du groupe dArnold Dreyblatt, The Orchestra
of Excited Strings, je passais un bon bout de temps avant chaque concert
ou répétition, à régler le cymbalum sur lequel
je jouais. Chaque corde devait être accordée à un
intervalle précis grâce à un générateur
de signal que Dreyblatt avait conçu spécialement pour son
système daccordage. Quand une corde était détonnée
par rapport au signal, un "battement" fantastique apparaissait
entre les deux sons ; battement inexistant lors dun accord parfait.
Nous parlons ici de "battements" qui ne sont peut-être
pas des "pulsations", mais nen restent pas moins des battements
et du rythme. La peau dun tambour résonne comme une corde,
elle "bat". Et cest ce type de battement qui mintéresse
à présent.
Revue & Corigée:
Tu as déjà
dit que tu voulais aller vers la simplicité. Ce que tu nas
pas expliqué cest cette fascination pour la simplicité
lutilisation de matériaux et de procédés
sonores restreints. Peux-tu développer, sil te plaît
?
Jason Kahn:
Pour moi limportant dans la musique cest
lexpression dune idée, de latmosphère
dun lieu et dun moment donnés. La prouesse technique
nest pas à éviter, à condition quelle
ne prenne pas le pas sur ce que je veux signifier. Cest pourquoi
je cherche à mexprimer plus simplement, ce qui revient en
fait à laisser le son lui-même sexprimer.
Cette approche sest évidemment transférée sur
mon travail avec linformatique surtout parce que, plus quaucun
autre instrument, lordinateur ma confronté à
un potentiel "technique" illimité. La technique dutilisation
dun ordinateur existe à un méta-niveau nous
ne sommes pas entravés par une inaptitude motrice, mais par les
limites de notre imagination. Cest pour cette raison que de nombreuses
compositions sur ordinateur approchent une complexité qui dépasse
de loin leur expression didées ou démotions.
Il ma fallu quelques années pour trouver un moyen de combiner
ordinateur et percussions, pour utiliser linformatique comme une
extension, pour que les deux fonctionnent ensemble de façon équilibrée.
Après beaucoup dessais et derreurs, la découverte
de cet équilibre a entraîné la réduction du
matériel (les percussions) et la simplification des traitements
sonores (lordinateur). Ce qui naboutit pas à une musique
"simple", mais à une musique qui fonctionne sur deux
niveaux, électronique et acoustique, deux niveaux qui coexistent.
Revue & Corigée: La plupart de tes interventions avec dautres
musiciens sont des improvisations. Te considères-tu alors comme
un improvisateur, au même titre quEvan Parker ou Cecil Taylor
qui sont des interprètes de "musique improvisée",
ou limprovisation timporte-t-elle uniquement comme moyen datteindre
un autre but ?
Jason Kahn: Sans entrer dans les détails, je pense que dans le
vaste univers des improvisateurs, nous abordons tous la création
musicale dans un esprit similaire. En fait ma pratique musicale induit
une approche de linstrument différente de celles dEvan
Parker ou Cecil Taylor, qui sont tous les deux connus pour leur implication
physique dans linterprétation, mais limprovisation
nen reste pas moins dune importance vitale pour moi.
Revue & Corigée:
Quand tu te produis
en solo, improvises-tu sur tes compositions ou te contentes-tu de les
interpréter ?
Jason Kahn:
Lors de mes performances en solo toute la musique est
improvisée je veux dire que je nai ni partition, ni
feuille de route. Je peux savoir comment je vais commencer, mais cest
tout. En fait je préfère ne pas en savoir plus. La véritable
question est : dans quelle mesure est-ce vraiment de limprovisation
? Chacun de nous a un répertoire didées, de stratégies,
de conceptions. Même quand nous tentons délibérément
déviter la redite, ces idées restent présentes
; et essayer consciemment déviter quelque chose ne pourrait
quinstituer une censure artificielle sur le processus créatif.
Je ne veux pas éviter quoi que ce soit (pas plus que je ne veux
me répéter). Avant tout, je veux rester ouvert à
la musique quand elle se révèle. Je ne peux pas toujours
contrôler ce que je fais. Je travaille beaucoup sur des feedbacks
et lordinateur est loin dêtre prévisible dans
ses traitements beaucoup de choses peuvent arriver inopinément
dans un concert. Le désastre nest jamais très loin.
Ce nest quen adoptant une approche improvisée que je
peux tirer profit de lensemble de ces facteurs intrinsèques,
facteurs qui peuvent maiguiller vers de nouveaux processus créatifs.
Revue & Corigée:
Quest-ce qui,
à ton avis, est le plus important dans ta musique : limprovisation
ou la composition ? Ou considères-tu que limprovisation est
déjà une forme de composition ? Et dans ce cas, explique-le,
car ce nest pas une idée très commune.
Jason Kahn:
Quand je compose cest-à-dire quand
je travaille sur ordinateur, que je mixe le son, que je crée un
nouveau morceau limprovisation reste importante, car une
grande part des sons que je mixe est issue dune façon ou
dune autre dun processus dimprovisation. Je pense quen
fait le cheminement mental en amont du fait même de mixer, dagencer
des sons, est aussi une forme dimprovisation. Par exemple, je ne
peux pas refaire un mix trop souvent. Après un moment, le processus
perd sa spontanéité. Cest exactement ce qui se passe
avec la musique improvisée elle existe dans linstant.
Comment pouvons-nous reproduire le même feeling ? Nous ne pouvons
pas. Linstant est là puis il disparaît. Je voudrais
adopter une approche similaire de lexécution non-publique,
de la composition. Je veux travailler dans cet instant dimpulsion
créative quil minspire, et reproduire cette inspiration
en sons organisés : une composition.
Revue & Corigée:
Tu es un Américain
vivant en Europe (à Zurich), qui se produit en Europe et au Japon.
A mon humble avis, il y a une différence entre ces approches géographiques,
même dans le domaine électroacoustique, où lon
pressent plutôt une globalisation des concepts et des pratiques.
As-tu limpression de jouer à leuropéenne ou
à la japonaise, ou est-ce une idée fausse ? Dans ce cas,
cela signifie-t-il que les acquis culturels de chaque individu ninfluencent
plus la création musicale dans notre monde multimédia ?
Jason Kahn:
Jai grandi en Amérique et suis venu en
Europe à 30 ans. De façon étrange, hors contexte,
je me sens encore très américain. Jai encore très
fortement conscience de lambiance de mon enfance dans ce pays. Il
y a tant déléments qui constituent notre orientation
culturelle. Je ne tenterai même pas den parler ici, tant lintégralité
du processus empirique se situe sur de nombreux niveaux, beaucoup nous
étant incompréhensibles voire inconnus.
Mais, pour répondre à ta question : non, je nai pas
le sentiment de jouer européen, japonais ou américain. Je
crois que je joue comme moi-même. Et au moment de jouer avec dautres
musiciens, je me contente de travailler sur le son lui-même, sans
tenir compte de leur bagage culturel. Je ne parle là que de ma
propre approche de la musique. Peut-être, pour quelquun jouant
dans des contextes plus stricts stylistiquement (les musiques ethniques,
par exemple), cela peut-il être différent.
Je ne veux pas dire non plus que les acquis culturels dune personne
ninfluencent pas sa musique. Nous avons tous évolué
différemment, nous avons grandi dans des environnements, des moments,
des lieux différents tous ces éléments affectent
évidemment la musique que nous produisons. Définir dans
quelle mesure exactement est un autre débat, sans grand intérêt
pour moi.
En jouant dans de nombreux pays jai appris que le son est universel.
Ça peut sembler banal ou ésotérique, mais ce nest
pas le sens de mon propos. Ce que je veux dire, cest que quand on
joue ensemble, que nous créons ensemble, à lunisson,
notre bagage culturel pèse peu par rapport au son que nous générons
car cest lui qui est lélément dunité,
qui rend possible la communication entre nous, bien que nous ne parlions
peut-être pas le même langage. Le son est un facteur de communication
supérieur.
Revue & Corigée:
Tu es un voyageur,
toujours en déplacement pour jouer et connaître dautres
cultures et réalités, et tu as déjà habité
de nombreuses villes dans le monde. Ta propre vie est à limage
de létat actuel de la création musicale, en particulier
la musique improvisée, un état nomade. Il me semble même
que limprovisation réinvente la géographie, met en
place de nouvelles façons daborder les musiciens et les publics
issus de pays différents. Quen penses-tu ?
Jason Kahn:
Un des problèmes de linterprétation
publique est ce concept de "performer", qui implique dêtre
sur scène, de jouer "pour" un "public". Cette
formulation évacue lidée dapprocher de manières
différentes des publics de pays différents. Nous nabordons
pas un public, cest le public qui nous aborde. Nous ne jouons pas
"pour" les spectateurs, nous jouons "vers" eux. Evidemment
on peut les sentir, et certains publics peuvent être, culturellement
parlant, plus ou moins exubérants que dautres ; quoi quil
en soit nous ne pouvons pas les aborder, parce que la nature de la représentation
conventionnelle exclut tout contact réel avec le public. Si je
le pouvais, je préfèrerais ne pas jouer sur scène,
ne pas donner de concert. Pour moi la solution idéale serait à
mi-chemin entre linstallation sonore et la performance, les gens
pourraient se promener, mapprocher, mobserver, sen aller.
Il ny a que dans ce contexte que je peux imaginer aborder un public,
comme tu dis.
Quant à labord des musiciens avec lesquels je joue partout
dans le monde, je lai déjà dit, sur scène nous
sommes immergés dans le son. Le son est lélément
dunité. Cest particulièrement sensible en ces
temps de voyages extrêmes : senvoler pour jouer un week-end
à Tokyo, être à Chicago deux jours plus tard. Ces
paramètres de forte décontextualisation géographique
et culturelle rendent encore plus importante lidée que le
son est un facteur unifiant. On peut transporter avec nous notre bagage
culturel. Mais à quoi sert-il quand on se déplace autant
? On naura peut-être même pas le temps dassimiler
les nouvelles cultures rencontrées, ou de permettre aux autres
musiciens de connaître notre culture à travers nous. Nous
devons compter sur le son comme élément dunité,
qui nous transporte par-delà les contextes culturels et géographiques.
Revue & Corigée:
Tu joues des "musiques
extrêmes", dans ce sens que tu te concentres sur les extrêmes
(bruit, silence, structures extatiques ou absence totale de structure).
Cette approche radicale de la musique correspond-elle à une philosophie
radicale de la gestion de ton quotidien ? En dautres termes : penses-tu
et vis-tu comme tu joues ? Car tu nes pas sans savoir quil
existe des artistes novateurs qui écoutent de la musique classique
et votent Républicain
Jason Kahn:
Ça fait penser au titre du fameux livre de Val
Wilmers "As serious as your life", qui présentait
en gros une galerie de portraits de musiciens de free jazz des
années 60. Je ne peux pas mexprimer pour les artistes "novateurs",
comme tu dis, qui votent Républicain peut-être ny
a-t-il là rien détrange pour eux ; cest peut-être
simplement eux, comme ils sont (ou comme ils se voient, rien de bizarre).
Quant à moi, je demanderais "quest-ce qui pourrait être
une philosophie radicale du quotidien" ? Peut-être les personnes
les plus radicales sont-elles justement celles qui votent Républicain
et produisent les créations les plus extrêmes quest-ce
qui pourrait être plus extrême ?
Par rapport au titre de Val Wilmers, je dirais que jenvisage ma
vie exactement de cette manière : la musique que je fais, la façon
dont je vis, impliquent la même énergie, le même allant.
Que jespère pas trop "sérieux".
Revue & Corigée:
La laptop music est critiquée
parce quelle est peu démonstrative sur scène. Dans
le cas de limprovisation, considérée comme la plus
spectaculaire des musiques du fait de son existence liée au lieu
et à linstant de linterprétation, on glose beaucoup
sur limmobilité des musiciens qui ne bougent que pour cliquer,
ne faisant aucun effort physique ou nexprimant aucune émotion.
Le débat porte aussi sur la tendance actuelle à arranger
les improvisations pour les sortir en CD, à "composer"
en studio ce qui a été joué spontanément sur
scène (je ne sais pas si cest le cas pour toi). Quen
penses-tu ?
Jason Kahn:
Dabord, sur laspect non visuel de la laptop
music, je voudrais juste dire que je connais pas mal de ses interprètes
qui sont tout sauf soporifiques, ou statiques ça rock. Et
jai vu bon nombre de musiciens "conventionnels" (piano,
guitare, saxophone, etc.) qui montraient moins démotion que
le plus froid des musiciens laptop (de fait, une présence scénique
glaciale peut faire passer plus démotion et de présence
que larchétypal dieu du rock qui brandit sa guitare dans
les lumières
).
Ensuite, quand tu es assis au fond dun grand auditorium, que vois-tu
des musiciens sur scène ? Des fourmis. Quelquun au piano.
Au mieux tu vois bouger leurs têtes. Mais leurs mains ? Rien, néant.
Alors, quelle est la différence entre ça et un musicien
laptop ?
Pourquoi la musique doit-elle être visuelle ? Et la musique acousmatique
? Quen est-il de lécoute ? Je pense que la musique
cest le son. Lexécution cest autre chose. Bon,
on pourrait dire "Pourquoi aller en concert ? Pourquoi ne pas rester
chez soi et écouter un CD ?". Le fait est quun concert
existe dans un espace-temps donné. Un moment auquel on prend part
; notre présence, quon le veuille ou non, influe sur les
musiciens en scène. Sinon, ils resteraient chez eux. Et tout le
monde est embarqué là-dedans, même sil ny
a rien à voir. Une salle de concert nest pas un salon, ni
pour nous, ni pour le musicien qui y joue. Tous ces éléments
font dune expérience live ce quelle est. Je ferme souvent
les yeux quand jécoute de la musique en concert. Peu mimporte
que les gens veuillent sauter partout sur scène, mais ce nest
certainement pas une condition pour que je sois satisfait dun concert.
En ce qui concerne les arrangements avant la sortie de CD, ça a
toujours été le cas, même avant lavènement
des ordinateurs. La seule différence à lheure actuelle,
cest quavec linformatique on peut apporter des modifications
plus complexes quauparavant. Mais pourquoi la musique devrait-elle
avoir telle ou telle forme ? Il y avait un groupe à Los Angeles,
je ne le nommerai pas, qui apposait systématiquement la mention
"all improvised" sur ses albums. Bon, et après ? Cest
une façon dexcuser le fait que la musique soit mauvaise,
ou quoi ? Ou pour que tu restes bouche bée dincrédulité,
niant le fait que ces musiciens puissent improviser ? Pour moi ça
na aucun sens. Surtout pour la musique improvisée qui, pour
être vraiment appréciée, doit sécouter
en concert. Un enregistrement peut donner une indication de ce qui sest
passé au moment précis de la prise, mais à mon avis,
il ne peut jamais sapprocher du ressenti en concert. A partir de
là, quy a-t-il de mal à modifier un enregistrement
? Si quelquun veut arranger un enregistrement public et inscrire
sur la pochette du CD "all improvised", et alors ? Pour moi,
ce qui est important, cest la musique, pas la façon de la
faire.
Revue & Corigée:
Dis-moi ce que tu
penses de ton duo avec Nakamura (déjà quatre CD !) et de
tes collaborations avec Gunter Muller, ou les japonais Utah Kawasaki et
Tetuzi Akiyama. Ces rencontres étaient-elles liées à
des affinités musicales avec les musiciens en question ? As-tu
de prochains projets de collaboration, ou devons-nous plutôt attendre
dautres projets en solo, ce que tu sembles préférer?
Jason Kahn:
Jouer avec Toshimaru Nakamura a toujours été
une sorte dexpérience muette. Nous navons jamais vraiment
parlé de la musique que nous jouions on avait dautres
sujets de conversation mais pour nos enregistrements, nos interprétations,
nous nous contentions de jouer. Notre approche commune nous permettait
de travailler ainsi, intuitivement, ce qui est peut-être le meilleur
niveau de collaboration.
Quant à Gunter Muller, Utah Kawasaki, Tetuzi Akiayama et les autres
musiciens avec lesquels jai eu des collaborations fructueuses, je
dirais quà la base de la musique que nous faisions il y avait
effectivement une part daffinité musicale. Une trop grande
affinité peut être démotivante ; trop de différences
rédhibitoire. Mais le plus important, malgré tout, est sûrement
la façon dont je mentends avec les autres musiciens. En général,
mieux ça se passe, meilleure est la musique.
En ce moment, je travaille sur un enregistrement avec Steve Roden. Ensuite
je finirai un nouveau CD solo pour le label Sirr à Lisbonne. En
mars, je serai en tournée aux Etats-Unis, en solo et avec John
Hudak, Greg Kelley, Bhob Rainey et Jason Lescalleet.
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